Quand “Nosferatu” plante ses dents dans le cou du cinéma, c’est pour ne plus le lâcher
Si quelqu’un doutait de l’importance de “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur” de Friedrich Wilhelm Murnau dans le patrimoine cinématographique vampirique, je commencerais par lui demander ce que craignent les vampires ; on me répondrait l’ail, les crucifix, et que pour les exterminer il faut leur planter un pieu en bois dans le cœur ou bien les soumettre à la lumière du jour. Stop ! La preuve est faite.
Oui, cette croyance, tellement ancrée dans l’imaginaire collectif, est pourtant fausse. Les vampires peuvent se déplacer pendant le jour, même s’ils ne disposent pas alors de tous leurs pouvoirs. D’ailleurs Francis Ford Coppola, s’il paie son hommage à Murnau sur plusieurs points dans son “Dracula” de 1992, tentera, en tout cas sur ce point précis, de rétablir la vérité.
Mais l’idée semble tellement puissante, que dès 1958, Jimmy Sangster la reprend pour le scénario du premier “Dracula” réalisé par Terence Fisher pour la Hammer Films. En effet, le film se clôt sur une scène magistrale durant laquelle le docteur Van Helsing (Peter Cushing) arrache les rideaux pour exposer Dracula (Christopher Lee) aux rayons du soleil.
Quand on voit la beauté poétique de ces deux scènes, on comprend sans peine pourquoi cette idée s’est imposée, influençant toute la mythologie vampirique. À présent, c’est donc une particularité répandue et acceptée pour les vampires de se désintégrer au contact des rayons du soleil.
Mais “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur”, à un niveau plus modeste, a aussi influencé la façon de représenter les vampires au cinéma. Rares sont les films à s’affranchir complètement de ce chef-d’œuvre de l’expressionnisme allemand.
Que ce soit en s’inspirant de l’apparence de Max Schreck sous les traits du comte Orlok dans “Nosferatu” (“Les Vampires de Salem”, 1979) ou au détour d’un plan en laissant apparaître à la télévision un extrait du film (“Scream 2”, 1997), voire en prétendant qu’un personnage se rend à une projection du film en 1922 ! (“Entretien avec un Vampire”, 1994), “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur” a laissé son empreinte indélébile sur le cinéma. En 1967, le comte Orlok n’est peut-être pas étranger au nom donné par Roman Polanski au comte von Krolock dans son “Bal des Vampires”.
En 1979, Werner Herzog s’aventure à réaliser un « remake » de “Nosferatu”, sous le nom “Nosferatu, Fantôme de la Nuit”. Les droits de “Dracula” de Bram Stoker étant alors passés dans le domaine public, Werner Herzog restaure le nom des personnages du roman. Alors que le script de Henrik Galeen reste davantage dans la suggestion, il n’hésite pas à rendre la quête d’amour de Nosferatu explicite, lors d’une confrontation entre Lucy (Isabelle Adjani) et le comte Dracula (Klaus Kinski). Par ailleurs, Jonathan, mordu et contaminé par Nosferatu, devient vampire à son tour…
Malgré ces différences, de nombreuses scènes restent extrêmement proches de l’original de Murnau, reprenant certains moments de façon très fidèle. Quant à l’apparence du vampire, le maquillage de Klaus Kinski est directement tiré de celui de Max Schreck dans “Nosferatu”. Mais l’intérêt de cette version réside surtout dans l’habileté que Werner Herzog manifeste, en parvenant à la fois à respecter suffisamment l’original mais aussi à infuser sa propre vision ; il insiste particulièrement sur le côté tragique de la condition de Nosferatu, condamné à l’immortalité et à la solitude, voué à voir le monde autour de lui se dépeupler de ceux qu’il aime, encore et encore ; la souffrance manifeste qu’il semble subir de l’éternité rend le personnage plus pitoyable encore que dans le film de Murnau. Werner Herzog rend aussi l’histoire plus explicite : le célèbre plan où Nosferatu s’abreuve du sang d’Ellen pendant toute la nuit est ici sexualisé ; le comte Dracula/Nosferatu boit le sang de Lucy, la main posée sur son sein, après l’avoir caressée. Par contre, la fin, lourde de significations et d’ironie, est moins poétique : Nosferatu, au contact des rayons du soleil, se recroqueville et meurt prostré au pied du lit de Lucy, Jonathan-vampire part à cheval pour répandre le fléau, tandis que le docteur Abraham Van Helsing est accusé de meurtre pour avoir planté un pieu dans le cœur du comte Dracula par précaution.
En 1992, dans son adaptation cinématographique du roman de Bram Stoker, “Bram Stoker’s Dracula”, Francis Ford Coppola ne peut manquer de rendre hommage au “Nosferatu” de Murnau. Voici deux plans de Nosferatu avec deux plans de “Bram Stoker’s Dracula” en regard :
Mais, l’hommage sans doute le plus appuyé est sorti sur les écrans en 2001, sous le titre “L’Ombre du Vampire”, de E. Elias Merhige. Le film retrace, de façon romancée, le tournage de “Nosferatu”, racontant que Murnau aurait engagé un véritable vampire pour tenir le rôle du comte Orlok, négligeant toutefois d’en avertir l’équipe de son film… Le tournage de certaines scènes de “Nosferatu” est reconstitué pour l’occasion, et l’idée de départ s’inspire des doute quant à l’acteur ayant interprété le rôle-titre. En effet, des rumeurs avaient insinué que Max Schreck n’était qu’un pseudonyme qui ne correspondait à aucun acteur existant ; certains allaient jusqu’à suggérer que Murnau lui-même avait interprété le rôle du comte Orlok ! Le film se distingue également par une très belle bande originale, composée par Dan Jones et interprétée par le BBC National Orchestra of Wales.
Hors du domaine du cinéma de films de vampires, l’influence de “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur” de Friedrich Wilhelm Murnau a même projeté son ombre plus loin encore, dans le cinéma fantastique en général. Est-ce en clin d’œil au personnage de “Nosferatu” que la pièce de théâtre — puis films — de Jules Renard “Knock ou le Triomphe de la Médecine” (1923) donne son nom à son personnage principal ? Personnage interprété magistralement par un Louis Jouvet crispant comme à son habitude, et qui n’eût d’ailleurs pas déparé dans le rôle de Dracula !
Enfin, le réalisateur Tim Burton, très imprégné des films d’horreur d’Universal des années 30, des films de la Hammer et de l’imagerie expressionniste, est coutumier des références à “Nosferatu”. Dans “Edward aux Mains d’Argent”, en 1990, les mains-ciseaux d’Edward projettent une ombre proche des griffes de Nosferatu… Il nomme Max Schreck le personnage principal de “Batman, Le Défi”, en 1992, du nom de l’acteur tenant le rôle du comte Orlok. Plus récemment, en 2008, dans “Sweeney Todd, Le Diabolique Barbier de Fleet Street”, il ne manque pas de faire ressembler le décor de l’échoppe de barbier de Sweeney à celui du plan d’introduction de l’agent immobilier Knock dans “Nosferatu” (voir ci-dessous).
Pour terminer, certains réalisateurs vont jusqu’à tirer une révérence à “Nosferatu” même bien loin de l’univers du film originel. C’est ainsi que Patrice Leconte, dans “Monsieur Hire”, en 1989, s’inspire, au détour d’un plan, de la silhouette immobile de Nosferatu derrière sa fenêtre… (voir ci-dessous)