— Le Livre des Vampires
Pour se repérer dans la partition !
Afin de cerner les différents aspects de l’histoire et l’enchevêtrement des situations, la partition du ciné-concert “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur” d’Alexis Savelief contient pas moins de dix-neuf thèmes ou motifs récurrents ; certains sont de véritables lignes mélodiques harmonisées, alors que d’autres se réduisent à un simple accord. Nous allons maintenant les observer de plus près et considérer leur utilisation.
Les douze coups de minuit
Le carillon sonne quatre fois les douze coups de minuit au cours du film, et de deux manières différentes.
Dès la première page, minuit sonne ; il s’agit d’un accord assez lourd, avec des cloches, c’est une « grosse sonnerie ».
Après l’arrivée de Hutter chez le comte Orlok, la lugubre horloge du château sonne minuit, de façon beaucoup plus légère cette fois, mais sûrement encore plus morbide. Cette sonnerie retentit de nouveau juste avant que Nosferatu n’attaque Hutter.
À la fin du film, au début de la séquence finale, lorsqu’Ellen ouvre sa fenêtre pour inviter le comte Orlok à venir lui sucer le sang, minuit retentit pour la dernière fois, dans le mode « sonnerie lourde ». Par la suite, le comte est réduit en poussière, et minuit ne sonnera plus.
On trouve ainsi une symétrie : à l’ouverture du film, la sonnerie de minuit annonce le côté sombre et tragique des évènements à venir ; c’est uniquement un présage. À la fin du cauchemar, minuit cesse de sonner. Entre les deux, minuit sonne, mais de façon plus réservée que lors de l’ultime attaque, la plus importante, car le sacrifice d’Ellen permettra d’avoir raison du monstre.
L’ombre du comte Orlok…
Le thème de Nosferatu est le premier thème à être présenté, dès le premier morceau. Cependant, il a été conçu en plusieurs parties fortement identifiables ; harmonie d’une part, motif mélodique de l’autre.
Ainsi, l’harmonie est jouée seule tout d’abord. Homorythmiques, les accords sont rythmés de façon bancale, afin de ne pas faire entendre de pulsation claire et de flouter tout repère évident.
Après quelques variations sur l’harmonie, le motif mélodique, d’une carrure régulière de deux temps, est présenté pour la première fois, dépourvu d’accompagnement, de façon à l’imprimer dans l’esprit du spectateur, avant même que les premières images du film n’apparaissent. Ainsi par la suite, les bribes du thème de Nosferatu sont instantanément identifiées par l’inconscient des spectateurs, y compris sous sa forme minimaliste constituée de la seule accroche de trois notes de la mélodie. Au total, variations, rappels, accroche du thème, etc., on compte quelques soixante-dix occurrences du motif… L’ombre de Nosferatu plane ainsi dès le début de la partition, puis tout au long du film, déployant ses ailes de chauve-souris et ses mains griffues, semblables à de gigantesques araignées.
Lorsque le comte Orlok apparaît pour la première fois à Hutter, sortant de l’ombre des voûtes de son château pour l’accueillir froidement, les différents éléments du thème s’assemblent alors, harmonie et motif mélodique, laissant enfin entendre le thème de Nosferatu au complet. (L’apparition du comte Orlok en tant que cocher n’est pas considérée comme telle, puisque le doute plane alors sur son identité.)
Généralement de bonne humeur
Le motif de Hutter, qui se signale d’abord par son entrain, est très court, assez rapide, et se compose de croches sur sept temps, lui donnant un côté guilleret et inachevé ; ce minimalisme permet de l’évoquer à de nombreuses reprises. Il se rapporte au côté un peu caricatural de Hutter, particulièrement au début du film ; cet élément musical est d’ailleurs mêlé à celui d’Ellen, sa femme, puisqu’ils sont présentés conjointement, ce qui n’empêche pas une utilisation généralement dissociée de ces deux motifs au cours de la partition.
Plus loin dans le film, le motif de Hutter, d’abord enthousiaste, subit une transformation ; joué plus lentement, de façon davantage préoccupée, par exemple lorsqu’il est recueilli au centre hospitalier ou bien lors de la mort d’Ellen.
Émotion et simplicité
Plus mélodique et expressif que celui de Hutter, le motif d’Ellen est composé de deux phrases musicales. Pensé à 4/4 mais présenté en tant que mélodie par-dessus le motif de Hutter, qui sert alors d’accompagnement, ce motif contraste par rapport à celui de son époux : plus de simplicité, plus d’émotion (ou d’expression), mais aussi plus posé et plus réfléchi. Il n’en reste pas moins que ces deux lignes mélodiques sont au départ des mélodies « à trois francs six sous », jouées d’abord cradoso (avec un vibrato d’amplitude démesurée, caricatural), avant d’évoluer et de devenir tour à tour inquiètes ou implorantes.
En effet, lorsqu’Ellen reçoit la lettre de Hutter, face à la mer, parmi les dunes du cimetière, à la lecture de la lettre de son bien-aimé, l’inquiétude d’Ellen surgit dans les deux phrases A et B de son thème, dans une version préoccupée.
Puis, lorsque Hutter est de retour à Wisborg, suite à sa longue absence et à son long voyage, lors de la réunion des deux amoureux, la phrase B du thème d’Ellen se fait entendre, délicate, dans une version qui fait ressortir une émotion contenue.
Une autre variation importante de cette phrase B reparait juste avant la mort d’Ellen, lorsque, à bout de forces, elle appelle Hutter dans un dernier souffle avant d’expirer ; l’expressivité aura alors quasiment disparue de la ligne, comme vidée de sa substance, au profit d’une fatigue et d’une faiblesse insurmontables.
Un peu rustres
Ce motif un peu vulgaire, dans le grave, est présenté en même temps que ceux de Hutter et d’Ellen.
On ré-entend ce motif lorsque les caisses du comte Orlok, devant être chargées à bord de l’Empusa, sont contrôlées par des hommes à l’allure caricaturale et grotesque.
Pépiement joyeux
Très court et dynamique, un peu comme un gazouillement joyeux, ce motif apparaît au début du film lorsque le couple est heureux, et plus loin dans le film lorsque les Harding jouent au golf dans leur jardin et reçoivent la lettre de Hutter.
Ce motif est aussi dérivé en élément plus agité, notamment lorsque Hutter, qui considère sa mission importante comme une bonne nouvelle, s’empresse de préparer ses affaires, alors qu’Ellen s’inquiète. Une certaine ambiguïté et une certaine ambivalence sont donc présents dans ce motif, malgré la base joyeuse.
Insouciant… au début
Ce motif mélodique, d’une ligne simpliste et inachevée, est assimilé à un sifflotement insouciant, guilleret au début du film, puis préoccupé, lorsque l’inquiétude et la tristesse contaminent la partition.
Lorsque Hutter arrive au pays des fantômes et qu’il prend possession de sa chambre à l’auberge, une version plus lente du motif se fait entendre. Celui-ci a alors perdu tout son entrain et son caractère joyeux, pour laisser place à la fatigue du voyage et à la tristesse de l’éloignement de sa bien-aimée.
Sombre et impénétrable
Le motif de Knock se résume à trois notes dans le registre grave, pour rappeler, en un miroir musical lointain, l’accroche du thème de Nosferatu, soulignant ainsi leur lien télépathique.
Comme pour le thème de Nosferatu, ce motif thématique est utilisé sous plusieurs formes : non seulement sous sa forme primaire de trois notes, mais aussi avec une harmonie, dont il devient la basse. Cependant, il est utilise aussi pour des passages dans lesquels l’inquiétude et la désagréable sensation d’avoir été berné sont présents.
Mécanique et implacable
Le motif de l’engrenage maléfique, très mécanique, implacable, est l’un des plus utilisés, puisque toute l’histoire repose sur une machine diabolique précisément huilée. Il apparaît dès que les idées de machination ou de propagation (de la peste) sont présentes. C’est aussi un élément de suspense, d’attente, voire de stress, décliné de nombreuses façons différentes.
D’autre part, du fait de son utilisation lors de l’introduction de Knock dans l’histoire, d’où remonte la machination, les deux thèmes sont très liés ; il apparaissent d’ailleurs souvent juste à la suite. Le thème de l’engrenge maléfique est par ailleurs subrepticement suggéré en tant que bribe dès la fin du deuxième morceau, qui annonce cette version plus évoluée. Il y a donc là aussi un lien, quoique plus discret, avec le thème de Nosferatu.
Une situation choquante
Ce motif-accord s’invite plusieurs fois au cours de la partition, souvent juste après l’engrenage maléfique. Il est associé à des situations choquantes, à un choc.
Premiers signes de démence ?
Ce court motif retentit pour la première fois lorsque Knock se met à rire — presque annonciateur de la démence qui s’emparera de lui peu après le départ de Hutter —, alors que Hutter est sur le point d’accepter de partir en Transylvanie au château du comte Orlok pour conclure la vente de la maison abandonnée. Hutter joint son rire à celui de Knock à ce moment-là, sans soupçonner les cauchemars et la tragédie qui l’attendent.
Ce rire presque diabolique, avec des nuances de démence, d’ironie et de machiavélisme, est associé à l’ironie. On le retrouve tardivement dans le film, à la fin du quatrième acte lorsqu’on annonce la présence de peste à la population, puis au début du dernier acte, lorsque la peste, déclarée à Wisborg, fait des ravages et que l’on marque d’une croix les maisons endeuillées. Avec du triangle, du vibraphone, des cloches, du célesta et des glissandos, la signification en devient macabre.
Le cœur bat fort, fort, fort
Ce motif sur sept temps traduit l’agitation intérieure qui s’empare d’abord d’Ellen, lorsqu’un mauvais pressentiment la bouleverse avant le départ de son époux, et plus tard de Hutter, lorsqu’il vient de pénétrer dans le château du comte Orlok et que la grande porte de bois vient de se refermer derrière lui…
Le lien qui unit à distance les deux jeunes amoureux
Ce thème d’accords est présenté lors des adieux déchirants de Hutter et Ellen, puis régulièrement repris. Il est associé à l’éloignement des bien-aimés, à leur lien télépathique (après la crise de somnambulisme durante laquelle Ellen perçoit instinctivement le danger guettant son mari), à la mort, donc à l’éloignement entre les vivants et les morts (à la fin de l’inspection de l’Empusa, mystérieusement vide de tout équipage ; lorsque les portes des victimes de la peste sont marquées à la craie par de grandes croix ; à la mort d’Ellen).
Mais ce motif est aussi associé au désespoir, lorsqu’Ellen scrute les flots, assise seule dans les dunes, parmi les tombes.
Le soleil descend dans le ciel, les ombres s’allongent au sol
Utilisé de nombreuses fois, ce thème d’accords répand ses harmonies, comme le crépuscule répand peu à peu l’obscurité. Constitué d’accords descendants glacials, mystérieux, brumeux et fantômatiques, tous composés des mêmes notes groupées différemment, ce thème est associé non seulement au crépuscule, mais aussi à l’avancée symbolique des ombres.
C’est ainsi que plus tard dans le film, ce thème d’accords souligne les scènes de voyage en bâteau du comte Orlok, dans une version « grandiose » et émaillée de perturbations rythmiques en 3:4, 4:3, 5:3 et 7:3.
Du moyen d’anéantir le monstre
Le thème du « Livre des Vampires » est introduit dès que Hutter ouvre pour la première fois ledit livre. Très statique, constitué de notes répétées au célesta, d’un motif en croches aux vibraphone et marimba, tandis qu’un accord inquiétant se dévoile peu à peu, ponctué de petites interventions rapides et passagères (voisines de l’engrenage maléfique), ce thème traduit l’angoisse ressentie par Hutter (et plus tard Ellen), malgré le peu de foi qu’il accorde tout d’abord à ces écrits, avant d’être saisi peu à peu par le doute…
On le ré-entend maintes fois durant le film, en particulier vers la fin. À ce moment-là, il n’est plus seulement attribué au seul « Livre des Vampires », mais aussi au journal de bord de l’Empusa, qui confirme les signes annoncés par le terrible « Livre ». Le thème se dérègle alors : mesure à 5/4, superposée avec du 6:5, du 8:5, tandis que les notes répétées de célesta adoptent une carrure en 4/4.
Enfin, lorsqu’Ellen décide de se sacrifier pour délivrer la ville du terrible vampire et du fléau qui l’accompagne, elle ouvre une dernière fois le « Livre des Vampires ». « Pas d’autre salut qu’une femme au cœur pur qui ferait oublier au vampire le chant du coq. » Quoi qu’il lui en coûte, elle rassemble tout son courage ; sa résolution est prise. À ce moment-là, le thème du « Livre des Vampires » résonne dans une ultime occurrence ; la mesure à 3/4 est surmontée de menaçantes octaves fa#-fa# dans le suraigu ainsi que d’un fa# dans l’extrême-grave, pensés dans une carrure à 5/4.
L’urgence de la menace
Bien que plus discret, toujours utilisé en arrière-plan, ce motif dans le registre grave annonce la menace grandissante : déjà on l’entend lors du trajet de Hutter en voiture vers le château du comte Orlok, alors que le soleil décline, puis lorsque Hutter, s’étant blessé au doigt, regarde avec effroi le comte, hypnotisé par son sang. Bien d’autres occurrences de ce motif se cachent dans l’arrière-plan musical de la partition.
La folie guette
Ces quatre accords apparaissent un certain nombre de fois dans la partition. Ils apparaissent soit par deux, soit tous les quatre ensemble. Les deux premiers sont plutôt liés à Hutter et à son entrain (ils sont introduits lorsque Hutter, au château du comte, fait signe au cavalier de s’approcher pour lui confier une lettre), modéré toutefois par un côté moins assuré et plus ambigu que ses deux motifs principaux. Les deux autres se font entendre pour la première fois lorsque Hutter se réveille après sa première nuit au château et constate des marques sur son cou ; le dernier accord est d’ailleurs, hormis la basse, constitué des notes du motif inférieur de l’engrenage maléfique. Il s’agit donc plutôt d’accord liés à l’inquiétude. On les retrouve tous les quatre dans la scène durant laquelle Knock est s’obsède pour le sang et les vies des êtres inférieurs, sous les regards inquiets des gardiens de cellule et du Professeur, mêlés à l’accroche du thème de Nosferatu et à son propre thème.
Effroi
Cet accord-motif est utilisé lors de divers sursauts d’horreur ou de peur tout au long de la partition.
Le vampire a soif
Cet élément agressif en croches dans une mesure à 5/4 et répété en boucle dans le registre grave, est associé aux attaques de Nosferatu, d’abord lorsqu’il s’en prend à Hutter au château, puis à la fin, lorsqu’Ellen devient la victime du comte Orlok.